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La souffrance des laïcs

par l'abbé Bryan Houghton

 

 

En 1983, l'"esprit du concile" soufflait depuis bientôt vingt ans. Il avait emporté tout ce qui était spécifiquement catholique, de la tiare du pape au poisson du vendredi. Et la tempête ne semblait pas devoir s'apaiser. J'avais dû me résigner à demeurer un prêtre exclu - au chômage pour le reste de mes jours. Mais j'étais prêtre, par la grâce de Dieu. Je pouvais donc dire la messe ancienne, réciter l'ancien bréviaire et, de façon générale, vivre selon mes convictions religieuses.

Mais les malheureux laïcs me faisaient immensément pitié. Ils étaient à la merci des prêtres amateurs de changements et priés d'applaudir à chaque innovation. Ceux qui souffraient le plus étaient évidemment les parents qui n'avaient plus la garantie de pouvoir transmettre leur religion à leurs enfants. La froide cruauté des évêques et des prêtres me consternait. Je n'en connaissais aucun qui ait montré une quelconque compassion envers eux. J'entrepris donc d'écrire moi-même un livre qui mettrait en lumière un peu de la souffrance et de la tristesse provoquées par ce qui se passait dans l'Église. C'est un roman intitulé Le mariage de Judith. En voici la dédicace :

"J'ai été ordonné prêtre le 30 mars 1940 et, en juin de la même année, nommé à Slough, banlieue ouvrière de Londres. Ainsi naquit la paroisse Saint-Antoine dans une cité dortoir londonienne. En septembre 1954, je fus envoyé à Bury St Edmunds où je me suis occupé de la paroisse St Edmunds jusqu'au 29 novembre 1969. J'ai en effet démissionné de ma charge ce jour-là et, à minuit, j'ai quitté les lieux. Pourquoi ? Parce que le lendemain matin, premier dimanche de l'Avent, le nouvel Ordo Missae entrait en vigueur.

C'est, dira-t-on, beaucoup d'intransigeance et même d'extravagance. Mais il s'agissait d'une question qui touchait au fond des choses. Le fond des choses, c'est-à-dire la conduite des réformes en général et de la réforme liturgique en particulier, reposait sur cette hypothèse que les laïcs étaient de pauvres imbéciles. Il était bien entendu que les laïcs, mus par la seule terreur de l'enfer, pieux par superstition, loyaux par routine, avaient la croix pour totem et considéraient la messe comme une opération magique. On insultait enfin ces malheureux de la façon la plus gratuite en les accusant d'être, pour la plupart, des catholiques du dimanche, infidèles en semaine. Cette fable affreuse était colportée - elle l'est toujours - par des évêques et par des prêtres qui le plus souvent n'ont pas connu, adultes, la vie laïque. Où qu'il travaille, un laïc doit chaque jour supporter railleries ou ricanements ; et dans son lit, chaque nuit, il doit demeurer catholique.

Je ne suis pas en situation de juger les paroissien de mes confrères. Mais je puis parler des miens, encore que je ne sache comment dire mon admiration pour mes paroissiens de Slough et de Bury St Edmunds, pour leur foi éclairée et leur piété déclarée. Or, c'est toute la question. Les réformes sont nées d'une critique radicale. Pour ma part, je ne voulais rien faire qui puisse passer pour une critique des excellentes gens que mon ordination me destinait à servir. J'avais pleine conscience d'apprendre plus de choses sur Dieu fleur intermédiaire, qu'ils ne le pouvaient à travers moi.

Il y avait aussi les convertis. J'en suis un moi-même. J'ai donc toujours présent à l'esprit le mystère de la grâce. Combien en ai-je reçus, je ne sais. Deux cents ? Davantage ? Parmi eux, il y avait des gens très cultivés, et, à la lettre, des clochards. J'ai enseigné à tous les mêmes éternelles vérités. Peut-être est-ce de l'orgueil, mais je ne puis admettre qu'en les recevant dans l'Eglise, je les ai trompés.

Et que dire des " convertis pour se marier " ? II est d'usage d'en mépriser l'espèce. J'en ai la preuve écrite e la main d'un évêque. Comme je les admire ! Il ne fait pas de doute qu'il y a une analogie entre l'amour humain et l'amour divin ou Dieu n'aurait pas si bien enraciné l'amour humain au cœur de l'homme. Autant que je puisse en juger, j'appartiens à ce que l'on pourrait appeler l'espèce des " convertis intellectuels ". Qu'est-ce à dire ? Simplement ceci : la grâce de Dieu a remédié à la faillite de mon intelligence. Les " convertis pour se marier " témoignent de bien autre chose : leur amour humain tend vers l'amour divin. Et comme preuve de leur conversion, ils donnent la plus éclatante : l'acte de procréer. Comment peut-on les mépriser ? Comprend-on maintenant ce qui m'a conduit à démissionner ? Je ne voulais rien faire qui puisse être une occasion de scandale pour mes merveilleux paroissiens.

A ma connaissance, et cela me paraît incroyable, personne n'a rien publié depuis vingt ans pour exalter les vertus et pleurer les souffrances des laïcs. Quand ils tentaient de protester, on leur reprochait d'être désobéissants et déloyaux ou d'être des diviseurs. C'est de cette constatation qu'est né le présent roman. Son objet est de montrer qu'un prêtre au moins sait dans quelle affreuse situation se trouvent les laïcs.

Je dédie ce petit livre à mes anciens paroissiens de Slough et de Bury St Edmunds. Ce n'est que l'humble témoignage de mon admiration pour leur attachement à la foi et de ma reconnaissance pour l'exemple de piété indéracinable qu'ils m'ont donné.

Abbé Bryan Houghton

 

 

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